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Togo/ Gilbert Bawara : « Désormais, l’élection des députés, des conseillers municipaux et régionaux sera plus importante que la présidentielle »

"La limitation du mandat présidentielle n'est pas gage de démocratie"

Alors que tous les regards sont tournés vers le président de la République au Togo, Faure Gnassingbé, qui devrait promulguer sous peu la nouvelle Constitution adoptée vendredi 19 avril par l’Assemblée nationale – ses plus proches conseillers et ministres tentent de convaincre depuis le Togo comme à l’extérieur du pays. La situation est complexe et explosive, car le vote de ce texte par la majorité au pouvoir est décrié par l’opposition et la société civile pour qui l’objectif premier est de permettre au chef de l’État de se maintenir au pouvoir.

En effet, l’actuel chef de l’État – qui a pris la tête du Togo en 2005 après les 38 ans de règne de son père – est encore le président de l’UNIR, le parti majoritaire à l’Assemblée, et deviendrait de facto président du conseil en cas de victoire de sa formation aux législatives du 29 avril. Le président et sa majorité avaient déjà réaménagé la Constitution en 2019 pour pouvoir briguer de nouveaux mandats présidentiels.

Cette fois-ci la réforme constitutionnelle fait basculer le pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire et acte la disparition de l’élection du président de la République au suffrage direct. Si les réactions des chancelleries occidentales sont restées assez discrètes, dans la sous-région ouest-africaine, on s’interroge.

Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Réforme administrative, a reçu Le Point Afrique à Paris pour s’expliquer sur la teneur de ce changement de cap majeur pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.

Le Point Afrique : Pourquoi cette accélération soudaine autour du calendrier de la mise en œuvre de la nouvelle Constitution ?

Gilbert Bawara : Il nous est apparu plus économe que la réforme ait lieu par voie parlementaire et avant les élections législatives par respect et par considération pour les acteurs politiques et les électeurs. L’objectif est que tout le monde connaisse les règles du jeu et que chacun mesure les conséquences et enjeux de ces élections.

L’opposition continue de dénoncer un « coup d’État constitutionnel ». Que lui répondez-vous ?

Le fait que l’opposition ait décidé de participer à ce scrutin après avoir boycotté celui de 2018 est déjà une bonne chose. À charge, aux candidats de l’opposition, de convaincre sur le terrain. L’occasion leur est donnée de faire de ces élections législatives et régionales un référendum pour ou contre la réforme constitutionnelle engagée. Ils ont l’opportunité d’aller vers nos concitoyens pour expliquer les raisons pour les lesquelles ils y sont opposés et ce qu’ils feront s’ils remportaient la majorité à l’Assemblée nationale.

De notre côté, nous irons vers les populations pour leur expliquer le bien-fondé, les avantages et les enjeux de cette réforme. Notre message est clair : donnons-nous les moyens de mettre en œuvre ce changement de régime. Les Togolais trancheront le 29 avril.

À supposer que l’opposition gagne la majorité, libre à elle de mettre en œuvre ou pas cette réforme. Elle peut très bien décider, éventuellement, de rétablir la situation existante.

La question de la légalité et du droit est au cœur du débat alors que le mandat des députés qui ont définitivement adopté la nouvelle Constitution a expiré depuis fin décembre 2023 ?

Aucune disposition de la Constitution togolaise n’interdit aux députés en fin de mandat d’exercer leurs prérogatives. Au contraire, l’article 52 stipule que les députés qui jouissent d’un mandat du peuple exercent pleinement ce mandat jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs. En 2006-2007, c’est une Assemblée nationale en fin de mandat qui a procédé à une réforme constitutionnelle sur la question de la nationalité ouvrant la voie à une candidature de l’opposant Jean-Pierre Fabre à l’élection présidentielle de 2010.

En 2013, j’étais ministre de l’Administration territoriale lorsqu’une Assemblée nationale en fin de mandat a également permis le vote d’une loi introduisant le financement public des campagnes électorales nationales dont la prise en charge des délégués et des partis politiques dans les bureaux de vote. En janvier dernier, les députés ont procédé à l’augmentation du nombre des députés de 91 à 113. Ce qui signifie que le cadre juridique togolais est respecté. La continuité de l’État est assurée.

Qu’en est-il de leur légitimité ?

La question de la légitimité des députés relève d’une appréciation, c’est une opinion. Le droit ne s’accommode pas des opinions et le droit ne s’applique pas différemment au Togo.

Pourquoi le calendrier électoral initial n’a-t-il pas été respecté et les élections législatives et régionales tenues à temps ?

Parce qu’il y avait un certain nombre d’aménagements en cours au sein de l’Assemblée nationale, dont certains étaient sollicités par l’opposition comme l’augmentation du nombre de députés. Ce qui a mené à une nouvelle date pour le scrutin législatif et régional.

Les Togolais ont, pour une grande majorité, découvert la réforme constitutionnelle le jour du vote du texte en première lecture à l’Assemblée nationale. Comment expliquez-vous cette absence de communication ?

Je crois que les deux initiatives qui ont été prises par la suite par le président, à savoir d’une part la relecture des textes et d’autre part, l’ajournement des élections législatives et régionales, ont été une occasion de remédier au déficit de communication constaté, et d’expliquer aux populations les enjeux.

Il s’agit tout de même d’une réforme majeure, qui va faire basculer le pays dans un régime parlementaire…

Cette réforme procède du constat que la cristallisation autour de la fonction du président de la République, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme ou d’une seule femme était de nature à fragiliser l’institution étatique. Concrètement, l’État se retrouvait souvent affecté et désarticulé. Elle procède d’une conviction réelle des députés du parti UNIR, qui ont souhaité que nous changions de modèle. Désormais, la magistrature suprême est, selon les termes de la nouvelle Constitution, vidée de sa substance puisque le nouveau président est privé de toute prérogative.

Nous tirons aussi les enseignements des événements qui se sont produits dans la sous-région. En 2014, les Burkinabè ont chassé l’ex-président Blaise Compaoré du pouvoir, mais, depuis son départ, le pays en est à son cinquième président, et connaît une déstabilisation sans précédent avec des attaques djihadistes. Les Maliens ont fait partir IBK en 2020, quatre ans plus tard, le pays est plongé dans l’incertitude. Il nous faut sortir de la logique de l’hyperprésidentialisation pour faire émerger des institutions plus ouvertes et fortes.

Cette réforme va également nous permettre de sortir des logiques de repli régional et ethnique et les partis vont comprendre que leur avenir dépend de leur implantation sur le territoire national. Cela permet de réduire les tensions et les conflits politiques inutiles. Si au bout de six ans, les Togolais ont le sentiment que ça ne marche pas, ils peuvent désavouer leur Parlement. C’est beaucoup plus honnête, plus loyal, sain et démocratique.

Vous citez le Mali, le Niger, le Burkina Faso mais pourquoi pas le Nigeria, le Ghana ou encore le Sénégal, qui vient de tenir une élection présidentielle à enjeux ayant débouché sur une alternance…

Deux principaux partis politiques dominent la vie politique au Nigeria tout comme au Ghana depuis l’indépendance de ces pays. Au Sénégal, ce sont trois grands partis qui rythment la vie politique. Nous voulions tracer une autre voie afin d’aider les partis togolais à évoluer vers un pluralisme rationnel. Nous ne pouvons pas être dans un mimétisme permanent, surtout quand il faut dans le même temps développer nos économies, lutter contre le changement climatique, etc.

Quel est votre modèle ? Et pensez-vous que le pays soit prêt à un tel changement de paradigme ?

L’Allemagne est notre inspiration. Il n’y a pas de modèle parfait, tout dépend du comportement des femmes et des hommes.

Que faire de la limitation des mandats présidentiels pour laquelle des Togolais se sont tant battus ?

Je n’ai jamais été convaincu par la limitation des mandats qu’ils soient présidentiels ou autre. Cela ne garantit pas la démocratie. Prenez le cas de la Tanzanie, le Chama cha Mapinduzi de Julius Nyerere est toujours au pouvoir depuis l’indépendance en 1962. Ce qui change, ce sont les hommes et femmes, mais c’est la même politique socialiste qui est appliquée. Est-ce que l’alternative, c’est le changement d’homme ou de femme ou c’est le changement de politique ? Pourquoi voulez-vous que des pays comme les nôtres, au moment où ils sont encore en train de bâtir leurs États, leurs institutions, leurs économies ne tiennent pas compte de ces défis dans leur approche de la démocratie ?

C’est une remise en cause des luttes menées depuis les indépendances africaines et surtout les conférences nationales…

Nous devons nous demander si nous n’avons pas commis d’erreurs collectivement, à un certain moment. Je ne suis pas certain que les chemins que nous avons pris nous ont amenés aux objectifs fondamentaux que nous recherchions à l’époque. Il ne faut pas persister dans l’erreur.

Je n’aime pas les termes démocratie à l’africaine. Mais je dis tout simplement que les règles et les principes de la démocratie et de l’État de droit ne peuvent pas être appliqués sans tenir compte du contexte local. Chaque pays à son histoire, ses réalités.

Les Togolais sont attachés au suffrage universel direct pour choisir leur président, que leur répondez-vous ?

Désormais, l’élection des députés, des conseillers municipaux et régionaux sera plus importante que la présidentielle. Tous les candidats seront tenus de travailler sur le terrain afin d’avoir une assise solide et pouvoir être élus soit conseiller municipal, soit conseiller régional, soit député.

Ce sont les députés qui éliront le président de la République qui remplira un rôle plus symbolique, il sera une sorte d’autorité morale. D’ailleurs, le futur chef de l’État peut n’appartenir à aucun parti politique.

Quant au président du Conseil, il est l’émanation d’une majorité par rapport à l’autre, il est donc obligé de s’entendre avec l’Assemblée nationale. Ce système nous paraît bien plus ouvert et démocratique. Et puis sur le plan financier, nous allons faire des économies en organisant quatre élections au lieu de cinq. Ce n’est pas négligeable.

Est-ce un aveu d’échec de votre gouvernance qui n’a pas été capable de renouveler la classe politique ?

C’est au sein de l’opposition togolaise que le déficit de renouvellement de l’offre politique est criant. Lorsque j’étais étudiant, Jean-Pierre Fabre était secrétaire général de l’Union des forces de changement (UFC) ! L’UNIR a su se renouveler et aujourd’hui nos aînés sont devenus nos conseillers, ils ne sont plus ministres ni députés.

Par Viviane Forson et Blamé Ekoué de Lepoint.fr

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